L’art de préserver, protéger et promouvoir le pouvoir

Un hommage à S.E. Martin Belinga Eboutou, 1940-2019

“De dedans ou de l’arrière, une lueur brille en nous et elle nous fait prendre conscience que l’on est néant, la lumière est tout …”
-Ralph Waldo Emerson. 

 Pendant près de quatre décennies, la douce et fine silhouette de Martin Belinga Eboutou a dominé la vie publique au Cameroun et au-delà. En lui, et à travers lui, comme chez tous les hommes, on pouvait percevoir des éclats de lumière, à moins qu’on ne soit essentiellement des oiseaux de mauvais augure. Qu’est-ce que l’homme, sinon qu’un écran noir sur lequel la lumière est projetée? Si nous nous focalisons sur l’écran, nous risquons de manquer la lumière. 

 Diplomate de formation, Martin Belinga Eboutou était en effet un diplomate accompli de naissance. Il était naturellement doué de courage et de grâce. Incontestablement, il refléta largement la lueur et la gloire de la diplomatie camerounaise à son époque. Il était bien l’enfant prodige de la diplomatie camerounaise – le diplomate des diplomates par excellence. 

 Sa carrière explose notamment lorsqu’ iest nommé à la présidence, d’abord comme Chef du Protocole d’État, puis comme Ministre, Directeur du Cabinet du Président pendant deux mandats, ponctué de près d’une décennie de service à l’étranger en tant qu’Ambassadeur, Représentant permanent du Cameroun à l’Organisation des Nations Unies à New York.  

 Comme on peut s’y attendre, la longue carrière de Martin Belinga Eboutou dans les cercles du pouvoir lui a donné l’occasion de prendre son élan et de faire preuve d’un génie hors du commun dans les affaires étatiquesLa durée de son mandat, son tempérament et son tact lui ont permis de mettre son empreinte sur la culture courtoise du Cameroun, le projetant ainsi au premier plan. 

Les fonctions qu’il exerçait étaient exigeantes, difficiles et délicates, nécessitant des compétences considérables pour coordonner et assurer le bon fonctionnement de divers départements distincts – Protocole, sécurité, communication et services de l’intendance. 

 Il avait une profonde compréhension et une parfaite maîtrise de son rôle de «Lord Chamberlin» – le plus haut responsable du palais –  supervisant les départements qui assistent et conseillent le Souverain (dans notre cas, le Président de la République). 

 Il a servi le Président de la République avec dévouement, diligence et distinction, en utilisant tous les moyens et méthodes à sa disposition pour alléger et faciliter le travail du Président, mais aussi pour soutenir, nourrir et amplifier la fonction présidentielle. Il a rapidement gagné la confiance du Président de la République, lui-même un homme futé et d’une finesse extraordinaire. Et c’est ainsi que  Martin Belinga Eboutou a mérité sa place de prééminence, de prestige et de patronage dans la structure politique du pays. Il était largement considéré comme le «gardien de la couronne» et le capitaine en chef responsable de la préservation, de la protection et de la promotion du pouvoir présidentiel au Cameroun. 

 Trois facteurs semblent expliquer l’évolution et l’élévation de cette personnalité énigmatique à laquelle on attribue tant de poids et un pouvoir phénoménal dans le système politique camerounais – préparation, perfection et partenariats. 

 Tout d’abord, la préparation: 

 Martin Belinga Eboutou s’est soigneusement préparé intellectuellement, philosophiquement et physiquement à ses hautes fonctions. Il possédait des compétences analytiques exceptionnelles et était alerte et attentif aux détails. Il a développé à la fois son intellect et son intuition. Il était ouvert d’esprit et désireux d’apprendre. Sa curiosité naturelle était constamment nourrie par une lecture vorace. Il était accroc aux classiques et aux œuvres contemporaines d’écrivains séculiers et spirituels. Il recherchait la connaissance et la sagesse tant d’anciens manuscrits que de l’homme de la rue  

 Après sa première sortie en tant que Chef du Protocole d’État lors de la Fête Nationale du Cameroun, il s’est rendu de nuit chez le Dr Gabriel Happi Tina, le légendaire ancien chef du protocole à la retraite. À sa grande surprise, le Dr Happi avait en privé enregistré sur vidéo les événements publics de cette journée et il examiné avec lui les aspects du protocole: «Ici, vous avez bien réussi, là-bas, pas très bien, à cause de la considération X et de l’obstruction Y. La prochaine fois, positionnez-vous comme cela, tournez dans cette direction, dirigez doucement et gracieusement le parti présidentiel de cette manière… ». Le lendemain, il nous a raconté cela avec beaucoup de gratitude et d’humilité. Pour savoir, nous devons partir du principe que nous ne savons pas. Nous devons être disposés à apprendre, puis à chercher où est le savoir.  Martin Belinga Eboutou était un homme humble en quête perpétuelle du savoir, et il savait comment le trouver. 

 Il n’était pas du tout pour un travail bâclé. Il travaillait dur et brûlait l’huile de minuit pour accomplir ses tâches au meilleur de ses capacités. 

 Il a développé une compréhension profonde de la nature humaine, et était parfaitement conscient de la propension prédatrice de l’homme. Ainsi savait-t-il comment s’affirmer, quand se battre et quand fléchir et fuir. 

 Martin Belinga Eboutou s’est également préparé physiquement. Il était remarquablement propre et confiant en lui-même. Il s’entretenait adéquatement pour refléter la suprématie et la sainteté de ses hautes fonctions. C’était un homme de style et de substance, visiblement attaché à l’élégance et à l’excellence. Il savait qu’il était constamment dans les yeux et les regards du public. Il était à bien des égards, le visage du pouvoir. Il s’assura que ceux de sa galaxie reflétaient la même image. 

 Admiré ou abhorré, salué ou détesté, aimé ou haï,  Martin Belinga Eboutou ne savait que trop bien ce qu’il fallait pour servir la royauté et savoir comment maintenir la distance et la discrétion dignes d’un confident du Prince. 

 Deuxièmement, la perfection: 

 La perfection était l’autre nom de  Martin Belinga Eboutou. Il était méticuleux et méthodique et avait un bon penchant sans pareil à bien faire les choses. Après tout, toute sa formation et sa carrière portaient sur l’ordre, la perfection, la civilité et la courtoisiesur l’étiquette, les principes ou les directives pour faire les choses de manière à mettre les gens à l’aise et à élever les autres, indépendamment de leur position dans la hiérarchie sociale. 

 Il croyait au pouvoir de la parole écrite et parlée. En tant que patron, parcourant notre travail, il vous demandait d’abord de changer un mot ou deux, puis une phrase, puis un paragraphe. Avant de vous en rendre compte, le texte entier avait été modifié, plus clair et plein de sens. Il avait le don de communiquer clairement et de manière convaincante. Il savait comment faire passer  avec succès ses idées et ses propositions, et comment obtenir presque tout ce qu’il voulait grâce à la simple force  d’une analyse et d’une argumentation convaincantes, profondes et perspicaces. Il était un excellent communicateur et utilisait ses compétences en communication orale et écrite pour faire appel à la faveur et à la disposition favorable des autres. 

 Martin Belinga Eboutou a exercé des fonctions exaltantes dans un lieu exalté. Il savait qu’un palais est plus qu’un lieu de paillettes et de glamour. Un palais, c’est aussi des gens avec des manières et une majesté. Il a déployé ses compétences et ses talents pour réformer et affiner les divers protocoles et processus utilisés au sein du palais présidentiel et pour la tenue de cérémonies publiques dans le pays. Il a cherché à établir l’ordre, le décorum et la décence dans toutes les fonctions publiques. Il s’est contenté de la perfection et a été à l’origine d’une grande partie de la splendeur et de la solennité dont témoignent les cérémonies publiques au Cameroun. 

 Troisièmement, le réseautage: 

 Martin Belinga Eboutou a compris le pouvoir du réseautage pour atteindre ses objectifs. Il a établi un réseau de partenariats collaboratifs avec des personnes appartenant à divers groupes au sein d’institutions publiques et privées clés à travers le pays. Cela lui a permis d’accéder à des informations vitales et à une certaine perspicacité qui lui ont permis d’informer et d’influencer les décisions.  

 Il était doué pour les relations humaines et comprenait que «même les lentd’esprit et les ignorants ont aussi leur histoire». Il était un joueur d’équipe et voyait les gens comme des mines potentielles où l’on peut découvrir de l’or ou des diamants, mais en se préparant à creuser dans la poussière pour atteindre les gemmes. Il cherchait toujours à explorer et à exploiter le bien chez les autres et n’était point gêné par la fierté dans sa quête du bien.  

 Au début de ma carrière à la Présidence de la République, j‘étais l’un desix jeunes diplomates à sa charge dans le Protocole d’État. J’étais aussi le seul anglophone – Eh bien, pas tout à fait, car le conciergechargé de nettoyer et de vider les bureauxétait également anglophone. Malgré cela, mon patron, Martin Belinga Eboutou, a préféré me demander de temps en temps des tâches de conciergerie. Même si je ne comprenais pas pourquoi il voulait régulièrement que je fasse de telles tâches, je ne remettais pas en question ses motivations et ne ressentais aucune rancœur à son égard. À deux reprises, un collègue qui avait remarqué la situation inhabituelle m’a rappelé que j’étais «un cadre» et non un concierge. Il m’a exhorté à m’affirmer et à me lever contre de telles actions dégradantes – à moins que je ne souhaite vraiment être le modeste Jésus de la serviette qui s’accroupirait pour laver les pieds des autres. Dans les deux cas, ma réponse a été la même: « Nous sommes payés pour travailler huit heures par jour. Si c’est le seul travail qu’il y a à exécuter pour la journée, alors pourquoi ne pas le faire ne serait-ce que pour justifier mon salaire ? ». 

 Puis, un jour, alors que j’étais occupé à épousseter et à organiser le bureau de mon patron, notre nouveau ministre est entré de façon inattendue.  Martin Belinga Eboutou s’est respectueusement levé pour souhaiter la bienvenue au nouveau ministre qui semblait perplexe, me voyant en costume avec un chiffon à la main. Quelques moments embarrassants ont suivi, et dans un effort apparent pour rompre le silence,  Martin Belinga Eboutou a déclaré à son éminent invité inattendu: «Monsieur le ministre, dans ce département, si vous souhaitez accomplir une tâche importante, voilà la personne à qui la confier (dit-il en me montrant du doigt). Il est si bien organisé que je dois faire appel à lui de temps en temps pour mettre de l’ordre dans mon désordre. Son bureau est juste en face du mien et si vous y entrez, vous remarquerez rapidement ce que je dis ». 

 En entendant cela, j’ai été stupéfait de réaliser que, en me demandant de nettoyer son bureau, mon patron ne cherchait pas à me dénigrer. Il cherchait simplement à exploiter quelque chose de positif qu’il avait vu en moi. Au-delà de cette révélation, je venais de bénéficier d’une recommandation remarquable faite à notre nouveau ministre, une autre éminence grise du système, qui jouerait plus tard un rôle décisif dans l’orientation de ma carrière et de mon destin. 

Cette rencontre et cette expérience précoce avec Martin Belinga Eboutou m’ont appris à fuir toute fierté et tout préjugé, éviter d’attribuer des motifs et des intentions aux actes d’autrui, rester humble et ouvert d’esprit, ne pas m‘appuyer sur ma propre compréhension, et me rappeler avec saint Paul que « maintenant nous voyons à travers un voile sombre; un temps viendra où nous verrons plus clairement ». 

 Martin Belinga Eboutou a toujours été attiré par la lumière chez les autres. Il a établi des partenariats fructueux avec tous ceux qu’il considérait comme positifs et constructifs et, ce faisant, il a créé autour de lui une constellation d’amis et de partenariats durables qui étaient une source secrète de sa force. 

 Enfin, eguise  d’adieu: 

 Martin Belinga Eboutou était un homme de foi. Fils de catéchiste, il emportait partout son missel et son chapelet catholiques. Il était assez souvent en compagnie du clergé et d’autres religieux. Il a même construit une église dans son village natal. Il était visiblement marqué par sa foi et son éducation catholiques. 

 Oui, Martin Belinga Eboutou a jalonné les couloirs du pouvoir et a fréquenté les rois. Il était le Chef d’orchestre de tout le faste et de tout l’apparat au sommet de l’ÉtatMais il savait qu’en fin de compte, tout honneur, toute gloire, toute majesté et tout pouvoir appartiennent à Dieu Tout-puissant – La lumière éternelle qui brille en nous et à travers nous sur toutes choses, nous faisant prendre conscience que nous ne sommes rien, mais la lumière est tout. 

 Oui, encore une fois, vous n’êtes plus, Votre Excellence Martin Belinga Eboutou, diplomate, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, ministre du Cabinet, homme d’État, ami, père, mari … Écoute, écoute maintenant, ô enfant de Dieu, comme ton Créateur et Maître te dit: 

 « Tu n’auras plus le soleil pour la lumière du jour, et la lueur de la lune ne t’éclairera plus; mais l’Eternel te sera pour lumière éternelle, et ton Dieu pour ta gloire». (Esaïe 60:19). 

Adieu, et que ton âme trouve le repos éternel. 

Solomon Azoh-Mbi
Haut-commissaire du Cameroun au Canada 

 

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